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Deux chevalières
1 mars 2006

Le tournoi

luis_royo0291

Image: Luis Royo





Le tournoi allait bientôt commencer pour s'échelonner sur deux jours. Plus que quelques heures avant que le roi ne donne lui-même le signal du début des épreuves. J'avais peine à refréner une impatiente excitation.

Je ne refuse jamais une invitation à croiser le fer, surtout quand celle-ci vient d'une femme, ce qui ne m'était arrivé qu'une seule fois auparavant, en d'autres lieux.  J'acceptai donc l'intrigante invitation de cette chevalière inconnue, que je ressentais plus amicale qu'hostile.

Je ne regrettai pas.  Agile et forte, elle parait les coups avec finesse et précision.  Elle me déjouait habilement.  Un vrai plaisir, j'admirais sa fougue.  Elle me surprenait sans cesse et ça commençait à sérieusement m'agacer.  Elle profitait de chaque faiblesse, sa lance finit par me surprendre hors d'équilibre.  La chute... En moins de deux, j'étais sur mes pieds à quelques pas de mon adversaire qui, rapide, se mettait déjà en garde... sa visière s'était légèrement relevée !!!!!

Par tous les démons de l'enfer!! Guenièvre!!! C'était la Reine!!! J'avais perdu toute envie d'affrontement.  Maintenant que j'avais vu qui se cachait sous ce heaume, comment pourrais-je encore oser lever l'épée?  D'un geste elle avait relevé entièrement la visière.  Sa beauté me coupait le souffle, suite à l'effort, elle haletait.   La sueur ruisselait sur son cou et sur sa gorge.   Elle m'hypnotisait, causait en moi un trouble profond, défendu.  Puis... j'avais croisé son regard, sombre, comme la nuit...

Oubliés, les blessures, la haine, les cadavres et le sang.  Mes vengeances et ma cruauté, toute les douleurs, l'espace de cet instant, tout avait disparu. Dans ses yeux... la terre entière.

Une seule personne au monde avait réussi à m'émouvoir ainsi avant aujourd'hui.  Lancelot.  À qui j'avais offert ma vie, le seul qui avait jamais provoque en moi, cette douloureuse émotion...

Alors que je la regardais s'éloigner, j'étais torturée par de sombres pensées... Quel sort cruel, le ciel me jetait-il donc?  Servir aux côtés d'Arthur était-il désormais possible?  Je n'avais aucun droit d'éprouver pour la reine de si coupables sentiments.  Ainsi Arthur aurait raison, ma place ne serait pas ici?  Ma quête serait donc toute autre et tout ceci serait donc vain?  Tout se bousculait...
Brutalement, je fus projetée contre le mur.  Les saillies dans la pierre me faisaient mal et me déchiraient la joue.  Une haleine putride près de mon visage.  L'homme m'avait attrapée par derrière, et, de tout son poids, il me maintenait solidement contre le mur les deux mains prisonnières au-dessus de la tête.  Il ricanait.

-Ah! Morgane sale garce! Je te trouves encore en travers de mon chemin! Je te jures que cette fois, ce sera la dernière!
Cette voix, je la reconnaissais.  C'était un lourdaud, un chevalier sans envergure et sans finesse que j'avais rencontré un jour au cours de mes voyages et dont j'avais systématiquement refusé les avances.  Un vil individu qui ne reculait devant aucune bassesse pour arriver à ses fins.  Au cours d'une bataille, je lui avais coupé trois doigts de la main droite et depuis, il me vouait une haine sans bornes, bien qu'il ne m'ait jamais ouvertement provoquée en duel. Je répliquai.

-Gontran! Tu es donc enfin sorti de ton trou! Justement je te cherchais... pour achever le travail!

De rage, il m'écrasa contre le mur si fort que j'en eu le souffle coupé.  D'un geste brusque, il me retourna le dos au mur en me maintenant les mains, il se frottait contre moi.  Je pouvais sentir tout près de mon visage, son souffle qui s'accélérait.  Il tirait visiblement beaucoup de plaisir de son avantage.  Son visage était couvert de cicatrices, autant de témoignages de sa maladresse au combat.  Il affichait un sourire mauvais.  Mais voilà... En s'exposant ainsi à mon regard, il venait de commettre une irréparable erreur. Je le foudroyai... Je criai avec force...

« CALORIFIS ARES!»

- Brûles ordure! Brûles! Comme bientôt tu brûleras en enfer ou je t'expédierais moi-même avec plaisir!

Je me redressai.  La situation venait soudain de changer.  Un rictus de surprise et de douleur se dessinait maintenant sur son visage alors que ses mains et tout ce qui me touchait à cet instant avaient commencé à chauffer et à brûler de plus en plus fort, il essayait de toutes ses forces de se détacher de moi, mais toujours rivée à ses yeux, je l'en empêchais, le consumant toujours.  Ses hurlements avaient alerté la foule qui avait commencé à s'amasser tout autour.  Une femme poussa un cri me ramenant soudain à la réalité.  Je relâchai mon étreinte mentale alors qu'une légère fumée montait de ses mains.  Je vis aussi qu'elles avaient commencé à noircir...

Criant toujours, il s'enfuit en courant, bousculant les badauds, pour rejoindre un groupe d'individus qui visiblement l'attendaient à l'écart.  Des moines et quelques chevaliers en armures.  Vraiment, tout ça ne présageait rien de bon.  Mais déjà les trompettes sonnaient.  Je remis en vitesse mon heaume, ramassai mon bouclier et mon épée.  Je me remis en selle et me dirigeai vers le centre de l'enceinte.  Le tournoi allait commencer...

La première joute impliquait à la fois, tous les participants.  Soixante chevaliers, trente d'un côté, trente de l'autre.  La moitié sera éliminée, l'autre moitié continuera demain la suite des épreuves.  Les chevaux piaffaient d'impatience, soulevant la poussière.  J'étais quant à moi, dans un bien piètre état d'esprit, en proie aux doutes et à toutes sortes d'émotions contradictoires.

Nous attendions l'accord du roi.  Elle me regardait.  Je sentais ses yeux posés sur moi, me transperçant jusqu'à l'âme.  Arthur et Guenièvre avaient pris place sur l'estrade, à la place d'honneur.  Je ne pus m'empêcher de lever les yeux vers elle.  Un certain regard, un léger hochement de tête comme un signe...  Arthur se leva.  À nouveau, les trompettes dans les créneaux tout autour de nous, tonnèrent à l'unisson.  Le silence enveloppa l'assistance.

-Chevaliers, combattez sur votre honneur, puisse le meilleur d'entre vous remporter la victoire! Que le tournoi commence !
Était-ce l'encouragement de la reine que j'avais cru percevoir ou le bruit des épées qui s'entrechoquaient, les cris des hommes et l'odeur du sang mais tous mes instincts étaient revenus d'un seul coup. Durant près de deux heures la bataille fit rage.  À un moment, je vis converger vers moi, épées levées, trois des acolytes que j'avais vu avec Gontran plus tôt.  De justesse j'évitai le premier, relevant mon bouclier, je parai le deuxième.  Le troisième, profitant d'une ouverture de mon armure me traversa entièrement l'épaule me causant une fulgurante douleur, après un temps d'arrêt, il retira sa lame pour la brandir en criant sa victoire.  Ce fut son dernier cri...

Les trompettes entonnèrent la fin de la compétition.  Et je restais là, tenant à peine debout, terrassée par la douleur et la fatigue.  Je ne restai pas au château pour célébrer la victoire.  D'un coup de talon, je mis mon cheval au galop.  Me couchant sur son encolure, à bout de forces, je le laissai m'emmener vers le cœur de la forêt.  La nuit tomberait bientôt et je pourrais me ressourcer et panser cette plaie d'ou le sang n'arrêtait pas de s'écouler.

J'avais allumé un feu et mis des herbes médicinales sur la blessure.  J'avais avalé un filtre aux propriétés guérisseuses et mis dans la flamme une poudre magique qui devait me plonger dans une transe réparatrice.  Déjà, je ressentais cette vibrante chaleur qui m'envahissait peu à peu.  Mon esprit s'envolait ailleurs. Oublier... tout oublier...

Je rêvais...  Dans mon délire, j'entendais la voix de ma mère qui disait: Morgane ne vois-tu pas?  Ton destin n'est pas où tu crois.  Ton demi-frère, Arthur, a déjà bien des épées pour l'accompagner sur les champs de bataille.  Saches que la reine Guenièvre porte en elle, une immense douleur.  C'est à elle que sera lié dorénavant ton destin de chevalière.  Aides-la à apaiser ce mal qui la dévore.  Protèges-la. Défends-la elle et son roi au péril de ta propre vie.  Veilles sur elle et sur leur amour.  Ton destin à la table ronde Morgane c'est elle, ...Guenièvre.

Je m'étais réveillée en proie à une profonde angoisse.  J'avais mal.  Je ne croyais pas qu'il s'agisse uniquement de mon épaule.   J'étais secouée par une émotion que je n'avais pas ressentie depuis si longtemps.  Me laissant aller toute entière à ma peine n'en pouvant plus de toutes les douleurs du passé, de celles qui m'envahissaient aujourd'hui et de celles que je pressentais  pour demain.   Sans pouvoir m'arrêter, sans contrôle et sans vouloir me retenir...  je pleurais...



Suite: Le royaume sans nom



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