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Deux chevalières
15 mai 2006

La pierre de lune

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Image: Luis Royo




Même après que quelques heures se soient écoulées depuis la cérémonie, la sensation de l’épée sur mon épaule persistait encore tant ce qu’elle évoquait m’avait marqué profondément. Chevalière! Quelle grâce! Quel honneur! Moi, Morgane!  Moi! appelée de tous horizons, la vile, la traîtresse, clamée par les oracles et les faux devins comme étant l’ennemie jurée d’Arthur!  La vérité éclatait enfin au grand jour! Loin d’être son ennemie, je me battrais désormais à ses côtés, je le protègerais lui et la reine et je veillerais sur leur amour comme sur ma vie. J’en éprouvais une immense fierté.

Sous le regard de braise de la reine qui m’enveloppait toute entière, une nouvelle sensation inconnue jusqu’à ce jour avait envahi soudain mon corps. La chaleur de ses yeux posés sur moi me pénétrait, s’insinuait sous ma peau, me brûlait jusqu’à l’os, me faisait mal de désir, d’une douleur si douce.  Si douce…

Je me sentais si bien là, à genoux devant elle. À ma place,  à l’endroit où je devais être. Au service de ma Reine.  En cet instant, lorsqu’elle avait posé sur mon épaule le plat de l’épée, le monde avait chaviré.  Je me sentais à la fois si vulnérable, si petite devant sa majesté, et en même temps, je me sentais invincible, rendue mille fois plus forte par mon amour et ma dévotion. Pour elle, je me sentais capable d’affronter à mains nues, la terre entière.  Je savais que dorénavant et à jamais, je la servirais et que je l’honorerais de tout mon coeur et de toute mon âme.  Je lui donnerais avec bonheur et sur le champ, ma vie, si elle me la demandait. Puis, devant la cour entière, elle avait pris mes épaules entre ses mains pour me relever, mes yeux avaient croisé les siens, elle me souriait.  Elle m’éblouissait. Oh Guenièvre, ma bien aimée, je ne veux plus vivre que pour accomplir vos moindres désirs. Plus rien n’a d’importance que ce merveilleux sourire qui m’illumine encore… mon soleil, ma lumière. Votre bonheur ma Reine, sera mon unique destin.

J’avais regagné ma place sous les applaudissements et les hourras des convives .  Mais je ne les entendais que vaguement, lointains, comme s’ils eurent été pour quelqu’un d’autre, tant mon esprit était emporté de tant d’allégresse.  Je ne voyais plus qu’elle. Ce regard, ce sourire m'ensorcelaient… Je ne saurais dire combien de temps le couple royal demeura dans la grande salle du trône, je n’avais plus conscience des heures qui passaient. Au bout d’un moment, ils se donnèrent la main. Arthur leva le bras et d’un geste donna le signal de leur départ. La foule se fendit rapidement pour leur laisser le passage. Tous se prosternèrent. On pouvait entendre un murmure d’admiration comme ils quittaient la grande salle.  Il la regardait avec un tel amour, une telle passion il en était émouvant et elle resplendissait de bonheur à son bras.  L’amour émanait d’eux, leur splendeur était telle qu’elle semblait irradier tout autour d'eux. Ils brillaient. J’étais contente qu’il soit près d’elle et qu’il l’aime autant. Il la rendait heureuse et c’est tout ce qui m’importait.

J'étais sortie aussi, immédiatement après eux. J’avais envie de crier de joie. Galaad, toujours aussi fidèle et efficace, accourrait déjà, avec mon cheval trottant à ses côtés. Quand il fut près de moi, je vis qu’il me regardait de ses grands yeux bleus, tout brillants d’admiration.

- Dame Morgane, souffla-t-il en me tendant les rennes tout en baissant la tête en signe de révérence, vous avez gagné le tournoi et votre place à la Table Ronde, permettez-moi je vous prie, de vous rendre gloire pour cet accomplissement. Vous avez réussi, Morgane, là où bien d’autres ont déjà échoué et je sais que nul ne saurait être plus digne de cette place que vous Madame.
Ce petit Galaad décidément n’arrêtait pas de me surprendre et de m’émouvoir. Je le trouvais vraiment très charmant.

- Je te remercie bel écuyer, tes mots me sont bien doux.  Fidèle Galaad, sur mon honneur je respecterai le serment que j’ai fait devant tout le royaume. Je suis heureuse du privilège et du grand honneur qui me sont faits. Je servirai Arthur et sa reine du mieux que je le pourrai. Chevalière…  Je suis Morgane du Lac! Chevalière à la Table Ronde!  Yahoooooo!!! criai-je en m’élançant au galop dans la nuit.

J’entendis derrière moi le rire du jeune homme, je me retournai en souriant comme il agitait la main en signe d’au revoir. Je songeai que je devrais sans faute remercier le roi de m’avoir assigné cet écuyer si précieux, vraiment, je n’avais que des éloges à en faire. Bientôt, je le récompenserais pour sa loyauté.

J’avais chevauché longuement, goûtant avec délices ce moment d’exaltation et j’étais perdue dans mes pensée alors que je revenais lentement vers le château.  Je trouvai très étrange de voir briller autant de lampes encore aux fenêtres à une heure aussi avancée de la nuit. Il semblait qu’au lieu de la quiétude qui aurait dû normalement avoir remplacé la fête depuis longtemps, il régnait au contraire une sorte d’agitation. De loin, je pouvais voir des gens qui couraient de tous les côtés tandis que d’autres étaient attroupés et criaient en gesticulant. Je pouvais entendre le son de leur voix mais sans parvenir à percevoir ce qu’ils disaient, j’étais encore trop loin.  Quand je vis arriver Galaad qui venait vers moi au galop, un mauvais pressentiment me serra immédiatement la poitrine… éperonnant ma monture, je le rejoignis. Il avait l’air effrayé.

-  Qu’est-ce qui se passe dis-moi Galaad? Est-ce que quelque chose serait arrivé au roi?

-  Non Morgane, c’est la reine, c’est Guenièvre. Elle est souffrante. On m’a envoyé vous chercher... Morgane?! ... Attendez!
Je ne l’entendais plus, je n’entendais que mon cœur qui battait à mes tempes. J’étais déjà loin, à toute allure, je fonçais vers le château. Elle n’allait pas bien. Mais qu’est-ce qui avait pu se passer? Elle avait pourtant l’air bien portante lorsque je l’avais vue plus tôt quitter le bal. J’arrivai rapidement et abandonnai mon cheval au milieu de la cour. Je courus vers les appartements privés de la reine.  Le garde fit un pas de côté, me laissant le passage en me reconnaissant et j’entrai en trombe dans la chambre, oubliant toutes convenances. Je n’avais que faire en cet instant du protocole. Elle était étendue sur son lit. À son chevet se tenait Arthur et Merlin ainsi que quelques prêtres et deux éminents guérisseurs qu’on avait fait quérir du royaume voisin. Ceux-ci étaient penché sur elle et l’examinaient. Ils semblaient soucieux. Je m’approchai.

Quand je la vis mon sang se glaça. Elle avait l’air si mal, son beau visage était ravagé de souffrance. Elle tourna la tête vers moi. Ses yeux, si tristes, tout embrumés de larmes contenues n’exprimaient que douleur.  Elle restait si digne, si belle.  Soudain, sa main se crispa sur son ventre, je vis passer dans son regard toute l’horreur de ce mal qui lui coupait le souffle et secouait son corps. Tout ce qu’elle endurait..  Elle ne put retenir un gémissement de douleur.  Mon cœur se brisa. Je tombai à genoux près du lit, c’était plus que je ne pouvais en supporter… sans pouvoir me retenir, je me mis à pleurer en silence. Jamais, je n’avais connu pire déchirement. Je balayai du regard ceux qui étaient présents, cherchant une solution, une réponse.

Arthur ne disait rien. Il avait l’air perdu, hagard. Il regardait la scène l’air absent sans vraiment voir personne. Son visage trahissait son désespoir. Il faisait peine à voir. Quant à eux, les hommes de science avaient l’air très préoccupés, l’un se grattant la tête et l’autre le menton faisaient non de la tête. Je les entendis discuter :

- Avez-vous déjà été témoin d’une telle chose? Demandait l’un.

- Je n’ai pas souvenance d’avoir rencontré pareils symptômes. Répondait l’autre.

- Un mal nouveau et bien étrange en effet. Approuvaient-ils de concert.

Merlin vint près de moi et me toucha l’épaule. Je me tournai vers lui.

- Morgane. Il faut que tu sois forte. Le mal dont souffre la reine n’est pas de nature ordinaire. Je crois qu’on a jeté sur elle un sort maléfique qui empoisonne son corps et qui, s’il n’est pas conjuré, l’affaiblira sans cesse jusqu’à ce que la vie se retire d’elle.
Je lui jetai un regard affolé. Elle allait peut-être en mourir?!!! Non!!! C’était impossible, inconcevable. Je réfléchissais. Puis la solution m’apparut très claire. Me ressaisissant, je me relevai.

- La pierre de lune.  Merlin dites-moi que cela pourrait la sauver.

- La pierre de lune! Morgane parles-tu sérieusement? Sais-tu ce que ça implique de faire don de la pierre de lune?!

- Oubliez-moi, je vous en conjure, ce n’est pas le moment! Est-ce que la pierre de lune sauverait Guenièvre? Répondez Merlin!

- Morgane, la pierre de lune ou pierre des fées, confère à tout mortel qui la reçoit des mains d’une fée, le pouvoir absolu de guérison. Ainsi, plus jamais cette personne ne saurait être sujette au moindre malaise physique provenant d’une quelconque cause qu’elle soit naturelle ou magique. Mais tu n’ignores pas non plus que c’est en cette pierre que réside ton pouvoir et que lorsque tu aimes quelqu’un au point de vouloir lui faire ce cadeau, c’est toi même que tu remets entre ses mains. Tu sais qu’en faisant cela, c’est ton pouvoir d’immortalité que tu abandonnes!  Elle aura sur toi Morgane, le pouvoir de vie et de mort. Est-ce que tu es bien certaine de vouloir faire cet ultime présent à la reine? Sais-tu bien ce que tu fais?

- Sur mon honneur, je n’ai jamais été aussi sûre de moi qu’aujourd’hui. Maître Merlin, je dois sur l’heure partir, mais sachez que la vie éternelle serait un supplice bien pire que l’enfer si mes yeux ne pouvaient plus jamais revoir à nouveau ce sourire…

Me retournant pour la regarder encore une fois, je pris sa main, chaude de fièvre dans la mienne et la portant sur mon cœur, je me penchai sur elle pour lui souffler à l’oreille :

- Courage Majesté, je vous en prie tenez bon.  Je vous sauverai. Je vous le jure sur ma vie!  Je ferai le plus vite possible.

Je n’avais plus une seule seconde à perdre, je devais toute de suite retrouver ma mère, Ygerne,  la Dame du Lac, elle saurait m’aider dans ma quête et m’indiquer la route vers le monde enchanté où se côtoyaient les anges, les elfes et les fées. C’est là que je trouverais la pierre de lune. Je courus, aidé de Galaad, me revêtir de mon armure et je pris avec moi toutes mes armes.

J’enfourchai mon cheval partit au galop à toute allure en criant à Galaad qui s’apprêtait à me suivre:

- Non mon fidèle écuyer. Tu ne peux pas m’accompagner. Pas cette fois. C’est une tâche que je devrai accomplir seule. Prie pour moi. Prie pour la reine!

- Bon voyage, Morgane, bonne chance et que le ciel vous protège!

S’il m’avait suivi du regard, il avait dû être stupéfait de me voir disparaître soudain sous ses yeux.  Je chevauchais à présent dans l’invisible, privilège des fées, où le temps n’a pas la même valeur. Quelques instants plus tard, j’arrivais sur les rives du Lac où déjà, ma mère m’attendait.

- J’ai entendu parler de ton projet ma fille. Et je te connais suffisamment pour savoir que ta décision est prise. Que rien ne te fera plus changer d’idée. Je dois tout de même te dire que même si l’idée de te perdre un jour m’attriste terriblement, je comprends cependant les sentiments qui te motivent. Je t’aime et je t’aiderai de mon mieux.

- Mère, je ne sais que dire… il faut faire vite.  Recevez je vous prie toute ma gratitude. Quel que soit mon destin, croyez que je vous aimerai et vous honorerai toujours.
 
Elle me prit la main et le temps d’un battement de cils, nous fûmes devant une porte.  C’était une porte en bois creusée à même le roc, avec en guise de poignée un gros anneau de fer.
 
- Voilà Morgane, c’est ici que tu dois entrer pour accéder à la salle où est gardée précieusement la pierre de lune de chaque être magique qui se matérialise dans l’univers. Mais attention, le chemin pour y accéder est très difficile et périlleux, d’autres ont essayé sans jamais réussir.  Une fois passé cette porte tu seras laissée à toi-même. J'aimerais pouvoir t'accompagner plus loin, mais hélas c'est impossible. C’est un chemin où chacun doit marcher seul. Je te souhaite bonne chance ma fille, que le ciel guide tes pas.
Sans ajouter un mot elle se retourna et disparut.  Je restai seule. La gorge me brûlait, j’entendais mon cœur battre jusqu’à éclater. Je pensai à Guenièvre. Courage!  Saisissant à pleine mains la poignée, j'ouvris et entrai.  Je me retrouvai dans une pièce ronde éclairée par des torches plantées dans des trous qu’on avait creusé dans la pierre. Devant moi tout autour de la pièce, trois autres portes toutes semblables à celle que je venais de franchir. J’étais perplexe. Laquelle devais-je choisir? Rien ne semblait m’indiquer la direction à suivre. Je n’avais pas le droit de me tromper.

Je m’approchai de la première, tirai, elle céda facilement. Derrière celle-ci, il y avait un paysage étrange, un univers grisâtre où rien n’avait de substance ni de forme tout baignait dans une sorte de fumée grise, mouvante. Je refermai. Non ce ne pouvait être le chemin vers la pierre du lune, cette porte menait vers le néant, le vide.  Je songeai avec effroi que le bon chemin serait certainement plus tangible, plus dangereux. Qu'il devait sûrement serpenter à travers une mer de feu et de lave bouillonnante. Lorsque je touchai la poignée de la deuxième porte, elle me sembla très chaude, elle s’ouvrit sur un paysage surprenant : Le feu… tout était rouge, tout flambait. Une mer de lave en fusion s’étendait devant mes yeux jusqu’à perte de vue. Quelle chaleur étouffante! Irrespirable! Vivement, je refermai cette porte-là aussi.

Derrière la troisième, un décor de rêve, un petit sentier ensoleillé serpentait à travers une douce clairière. Tout de suite attirée, je fis un pas vers celui-ci mais mon instinct m’arrêta. C’était trop facile. C’était un piège. J’en avais la quasi-certitude. Je voulu reculer mais quelque chose refusait de me laisser faire et me tirait vers l’intérieur. Je perçu une chose noire, infâme, qui m'agrippait. Je luttai de toutes mes forces.  Finalement, je réussis à me dégager. Je dus lutter encore pour réussir à refermer.
Je m'éloignai de quelques pas, haletante. Je ne savais plus que faire. Je n’allais pas échouer comme ça si bêtement avant même d’avoir trouvé la voie! Il fallait que je réfléchisse et vite. J’éprouvais un drôle de sentiment, comme si la réponse était là devant mes yeux sans que je puisse la voir. Derrière une de ces portes… Soudain, tout commença à s’éclairer : la deuxième... le feu, la mer de lave en fusion. C’était exactement la scène que j’avais imaginée! Je me concentrai et formai en pensées l’image de la mer, mais cette fois pas de feu et pas de lave en fusion, juste de l’eau. J’imaginai un grand pont qui la traversait. J’ouvris la porte, le cœur battant…

Je marchais déjà sur le pont depuis un moment et pourtant il semblait que je n’avançais pas que je revenais inlassablement au même endroit. Je regardais l’eau qui semblait prendre de plus en plus une teinte grisâtre tirant sur le noir. J’aperçu quelque chose qui bougeait sous la surface. Je ne vis d’abord que deux immenses yeux jaunes qui me fixaient puis soudain, il bondit hors de l’eau. Son corps, gigantesque, était couvert d’écailles rouges: un dragon de mer!  Il ouvrit grand la gueule pour m’attraper avant de replonger. Je l’évitai de justesse. Je tirai mon épée et me préparai à l’affronter lorsqu’il reviendrait.

Là!  Derrière moi! Il surgit de nouveau! Il me semblait encore plus énorme que la première fois. Lorsqu’il ouvrit la gueule, je voulu me défendre de mon épée mais celle-ci fut brisée comme un vulgaire morceau de paille entre les dents de l’animal géant. Je sentis son souffle immonde se rapprocher de mon visage. J’essayai de lui jetai un sort: « PETRIFICATIS! »  Ça ne fonctionnait pas! La magie visiblement n’avait aucun effet sur lui. Je fis un rapide bond en avant et me mis à courir de toutes mes forces aussi vite que je pouvais. Il replongea, bredouille. La peur me tenaillait le ventre. Je n’étais pas de taille. J’étais pétrifiée.  La prochaine fois qu’il sortirait, cette fois le monstre ne me raterait pas, j’en avais la cruelle certitude.  La reine allait mourir et ce serait ma faute…. oh… Guenièvre… 

!!! ... Mais…!!! Non ! Non!!! C’est moi! C’est moi qui crée toutes ces horreurs avec mes peurs et mes doutes! Cet endroit reproduit fidèlement et instantanément mes moindres pensées! Comment n’y avais-je pas songé plus tôt! Je devais me reprendre en mains immédiatement, je me concentrai. L’eau, peu à peu reprenait sa teinte bleutée et le monstre s’était évanoui. Tout simplement, je m’imaginai au bout de la route. La mer, le pont, l’eau et la bête, tout avait disparu. Je me trouvais debout au milieu d’une immense grotte de pierre. Une lumière rosée semblait émaner des murs même. Sur un socle rocheux, au milieu de la pièce, le cristal magique scintillait.

J’étais devant la pierre de lune! J’avais réussi. J’avais percé le secret des portes… Il suffisait d’avoir foi en moi et en mon but. En mon amour pour elle, ma reine. Et maintenant que je savais, le reste serait un jeu d’enfant. Je m’approchai et pris la pierre entre mes mains…

Toute une journée s’était écoulée depuis mon départ et je craignais fort qu’il ne soit trop tard. Le soleil baissait déjà dans le ciel. Je rentrais au château à vive allure.  Autre chose cependant m’inquiétait encore. Lorsque j’avais touché la pierre de lune, j’avais eu une vision. Quelque chose allait arriver au roi.  Dans le reflet de la surface du cristal, je l'avais vue, elle, la vieille sorcière, Celle Qui N’a Pas de Nom, l’innommable, avec sa face blanche de mort, et sa bouche écarlate, son visage de démente.  Je l’avais entendu formuler son sort infâme et je l’avais vu prendre très parfaitement la forme et les traits de mon frère Arthur.  C’est elle aussi qui avait odieusement empoisonné Guenièvre pour ainsi faire diversion et profiter de l’émoi que causerait la maladie et ensuite la mort de la reine, pour usurper sans attirer l’attention, la place d’Arthur à Camelot et au royaume d’Avalon. Quel plan diabolique! Quelle perfidie! Je la détestais du plus profond de mon être et j’avais juré de l’arrêter coûte que coûte. Mais d’abord, vite, il fallait sauver la reine. J’espérais de tout mon cœur qu’il ne fut pas trop tard.

J’arrivai enfin à la porte de ses appartements, je pris une profonde inspiration. Je n’avais pas vraiment pensé aux implications de ce don avant. Cependant, j’étais prête, la vie de la reine en dépendait.  Sans plus attendre, je frappai et j’entrai. Merlin était là, il m’attendait. Je le questionnai du regard.

- Oui mon enfant, elle est toujours vivante. Mais pas pour bien longtemps je le crains. Je dois cependant te prévenir. J’ai dû tout lui expliquer au sujet de la pierre et de ses propriétés guérisseuses et aussi ce qui t’arriverait. Le pouvoir qu’elle aurait sur toi après. Elle ne veut pas de la pierre Morgane, elle refuse d’en entendre parler. Elle dit qu’elle n’a pas le droit de tant te demander. Si tu dois la convaincre, il faut faire très vite. Elle est très faible.

Je m’approchai du lit. Quelle tristesse. Elle avait peine à ouvrir les yeux à présent. La sueur perlait sur son front et sur sa gorge. Elle me regardait. Elle fit un non de la tête. Les larmes me brûlaient les yeux, je n’en pouvais plus de la voir ainsi affaiblie.

- Ma reine, je dois vous remettre cette pierre. Vous devez l’accepter. Ne voyez vous donc pas, que cette vie que vous voulez me préserver ne serait que vide et que noirceur sans vous? Oh Guenièvre ne savez vous pas que s’il fallait que je vous perde, la vie me serait si cruelle que je fracasserais cette pierre aussitôt afin de mettre moi-même fin à mes jours?

Je plongeai mes yeux dans les siens. Je remis la pierre de lune entre ses mains, je les recouvrit des miennes et je les serrai tendrement sur le cristal magique. Elle me laissa faire…  Me fit un sourire. Je soupirai de soulagement en voyant que la douleur semblait s’être rapidement dissipée. Déjà, les couleurs revenaient à ses joues. Je lui souris à mon tour.




suite: Les feux de Guenièvre


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