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Deux chevalières
30 mai 2006

Les 7

309102

Image: Luis Royo




Deux jours et deux nuits qu’il était là à se tordre les mains, à marcher de long en large devant cette grotte.  En fait, il ne s’agissait que d’un trou creusé à même le roc, juste assez grand pour dissimuler le corps d’un homme ou en l’occurrence, d’une femme. Galaad n’en pouvait plus d’attendre et de se morfondre en regardant le corps de sa bien-aimée étendu depuis des heures, inerte. Morgane semblait endormie. De temps à autre, il allait chercher de l’eau fraîche à une petite source qui coulait en cascade à travers les rochers, tout près de l’endroit où était son corps. Il en épongeait ses lèvres et son front. Comme elle était belle. Il ne se lassait pas de la regarder. Depuis le premier jour où il avait posé les yeux sur elle, il avait été conquis par les magnifiques yeux verts de la fée, la force qu’il y lisait avait tout de suite provoqué son admiration.  Le mystère et la magie qui semblait l’entourer comme un halo invisible avait attiré sa curiosité. Il n’avait pas reconnu en elle cette mégère acariâtre et mauvaise qu’on lui avait décrite,  au contraire il avait découvert un cœur pur et valeureux.  Plus il la connaissait, plus il avait eu envie de la connaître, de l’aider, de la servir.  Aujourd’hui, si elle le lui avait demandé, il l’aurait volontiers suivie jusqu’au bout du monde.  Lui qui n’avait jusqu’à ce jour, jamais encore connu l’amour d’une femme, ne contrôlait pas toujours tout l’émoi que lui causait le corps parfait de la jeune femme.  Il en était surpris et troublé. Une fois elle s’en était aperçue et au lieu de se mettre en colère comme il l’avait d’abord craint, elle avait semblé en être amusée. Il avait rougi. Elle avait souri, mais elle n’en avait pas parlé et Il avait apprécié sa discrétion.

Elle était ainsi immobile, respirant à peine depuis si longtemps. Il faisait à présent les cent pas, en se tordant les mains d’impuissance.

-Mais où est-elle? Que fait-elle? Elle n’a jamais été si longtemps partie, que se passe-t-il donc?

Ces questions lui tournaient sans cesse dans la tête.  Il lui était arrivé quelques fois de surveiller le corps de Morgane, pendant qu’elle partait au Pays des Fées. Là, où elle ne pouvait pas emmener son enveloppe physique. Depuis qu’elle avait remis la pierre de lune à la reine, elle était devenue mortelle ce qui la rendait plus vulnérable lors de ces « sorties ». Il avait fallu redoubler de prudence et de discrétion.  Finalement, elle avait trouvé cet endroit peu fréquenté, où elle était relativement à l’abri des bêtes sauvages.  Il veillerait sur elle, il la défendrait jusqu’à la mort, elle le savait. Elle avait confiance en lui et jamais il ne trahirait cette confiance. Cependant, l’angoisse lui serrait le cœur, jamais auparavant, elle n’était restée « absente » aussi longtemps. D’habitude, elle revenait toujours après quelques heures et elle laissait toujours un enchantement pour se rendre invisible durant son absence. Cette fois, il ne savait pas pourquoi, c’était différent. Elle n’avait pas jeté le sort d’invisibilité.  Le pire c’était l’ignorance. Elle l’avait conduit ici, lui avait demandé rester près d’elle et de la protéger puis s’était étendue. Au bout d’un moment, il lui avait semblé voir une sorte de lueur, une aura lumineuse et translucide se détacher de son corps qui avait l’air de s’être endormi et il l’avait vue, émerveillé, déployer de grandes ailes dorées avant de majestueusement, prendre son envol dans un éclair blanc…

Bien sûr, Il lui avait demandé à quelques reprises de lui raconter comment c’était là-bas, mais elle se contentait de lui sourire gentiment et de lui dire :

-Un jour, mon fidèle, un jour peut-être…

Comme ce jour ne s’était jamais présenté, il n’avait aucune idée de ce qui la retenait ainsi. Et il se mourait d’inquiétude. En plus, la fatigue commençait dangereusement à se faire sentir, il tombait littéralement de sommeil,  si elle ne revenait pas bientôt, il avait peur de s’évanouir et d’ainsi abandonner son corps sans protection à tous les prédateurs éventuels, hommes ou bêtes…  Morgane n’avait pas que des amis au Royaume, loin de là. On racontait à son sujet toutes sortes d’histoires et de ragots tous aussi faux les uns que les autres à propos d’elle et de la reine Guenièvre. Quelques langues perfides parlaient déjà d’hérésie et de trahison. On lui voulait du mal.  Soudain, il ne se sentit pas du tout rassuré. Galaad ne craignait pas pour lui-même, il avait peur pour elle.  Il fallait qu’elle revienne. Il fallait qu’elle revienne très vite.

* * *

Le silence était tombé sur l’assemblée comme un couperet.  L’annonce avait été cinglante et sans équivoque.

-Fée Morgane, tes pouvoirs te sont retirés jusqu’à ce que le Concile des 7 aient délibéré et pris une décision, d’ici là, ton privilège de prendre forme humaine est également suspendu.  Tu attendras ici notre verdict.  Ainsi fut il décidé, ainsi soit-il.

J’étais abasourdie, dévastée, une sourde terreur me tenaillait les entrailles, moi qui n’avait jamais eu peur de rien. Voici que je tremblais de tout mon être. Je ne savais pas entre toutes les peines qui m’étaient imposées, laquelle était la pire, perdre tous mes pouvoirs ou la perspective d’être séparée à tout jamais de la reine. Ne plus revoir Guenièvre. Cette seule pensée me remplissait d’horreur. Que me servirait alors d’attendre ici solitaire et inutile? D’attendre qu’elle meure et qu’enfin je meure avec elle? Que je la retrouve enfin…  Quel sorte de Dieu a permis qu’on se rencontre si on ne peut jamais se toucher? Quel mal y a-t-il donc à l’aimer? Depuis quand l’amour est-il un péché punissable des pires peines? Pour ne pas devenir folle, je me remémorais chaque événement depuis la veille, chaque geste, chaque parole.

Aussitôt après avoir remis la pierre de lune entre les mains de la reine, j’ai ressenti dans mon corps soudain, l’énorme fatigue, dès que je fus certaine qu’elle allait mieux, je me retirai immédiatement dans mes appartements. Galaad m’avait aidé à retirer armure et survêtements, la cotte de maille à peine tombée bruyamment sur le sol, je me jetai sur ma couche et m’endormis sur le champ. Ma mère vint me visiter en songes. 

-Ma fille, prépare-toi au pire. On m’a envoyée pour t’apporter ce message.  Les 7 ont tenu conseil, ton nom Morgane, fut prononcé par trois des membres des Familles. Tu devras donc être entendue et jugée pour tes actes parmi les hommes, sur la terre. Tu dois te présenter devant le conseil avant le lever du soleil, je dois te prévenir que dès ton arrivée tes pouvoirs seront suspendus jusqu’à nouvel ordre. Je suis désolée de t’apporter de si mauvaises nouvelles, je n’ai même pas la possibilité de te prendre dans mes bras afin de te réconforter un peu ma fille, sache que je t’aime de tout mon cœur et que quoi qu’il arrive je suis avec toi.

Du coup, je m’étais retrouvée assise dans mon lit, les yeux grands ouverts, le cœur battant.  C’était la panique! La pire chose qu’une fée puisse craindre! Être nommée au Concile signifiait que des membres des Saintes Familles avaient quelque chose à me reprocher, il fallait que ce soit très grave.  Les fées avaient libre arbitre de leurs actions parmi les hommes à la seule condition de ne pas enfreindre où changer de quelque façon le cours du destin de l’humanité. Mais de quoi m’accusait-on? J’appelai Galaad et précipitai les préparatifs…

La tribune du Concile semblait suspendue dans l’air. Tout autour il n’y avait qu’espace, mouvement. Il n’y avait ni ciel, ni terre, ni plafonds, ni planchers, ni murs d’aucune sorte. Il n’y avait rien. Il y avait tout. Les chefs des 7 familles étaient réunis, au centre Merlin présidait l’assemblée. 

Bham!  Le coup résonna en moi, me pénétrant jusqu’à l’os.  Je tremblais. Le tonnerre avait retenti et l’Aîné avait parlé suivi tour à tour par les membres des Saintes Familles, les 7:

-Fée Morgane!  Vous avez été appelée devant nous pour être questionnée et répondre de vos agissements dans le monde des hommes.

Bham! 

-Vous êtes soupçonnée de vouloir changer la Destinée de l’humanité en voulant usurper la place du roi dans le cœur de la reine.  En brisant l’unité du Couple Sacré cela compromettrait dangereusement la découverte du Saint Graal qui doit fixer l’avenir de notre monde.  Il ne saurait en être question.

Bham!

-Considérant que cette ultime Quête doit avoir lieu très bientôt.

Bham!

-Que son issue sacrée a été décidée et écrite depuis le début des temps.

Bham!

-À la lumière de vos récents agissements et sentiments à l’égard de sa majesté la reine Guenièvre souveraine d’Avalon.

Bham!

-Considérant qu’il est primordial de favoriser l’aboutissement de cette divine Quête.

Bham!

-Il a été décidé que vous seriez dès à présent considérée comme coupable de haute trahison et devrez vous défendre et justifier devant vos pairs, les sentiments qui animent vos actions.

Il y eu un profond silence puis, Ils prononcèrent à l’unisson :

-Ainsi fut-il décidé, ainsi soit-il.

Merlin se leva et d’une voix forte, posa la première question. Derrière sa sévérité, je savais qu’il ne souhaitait pour moi aucun châtiment.

-Fée Morgane, jurez-vous de ne dire ici que l’absolue vérité.  Jurez-vous sur le Saint Graal?

-Oui, je le jure.

-Fée Morgane est-ce que vous aimez la reine Guenièvre? Éprouvez-vous pour elle, les mêmes sentiments qu’éprouveraient un homme pour sa femme?

-Maître Merlin, je ne connais pas les sentiments qu’éprouvent les hommes.  Mais, si le fait que sa seule vue emplisse mon cœur d’allégresse. Que sa seule pensée me donne envie de chanter. Que tout mon corps se mette à  trembler à son approche. Que son bonheur soit primordial au mien.  Si ce sont les sentiments qui animent les hommes qui sont amoureux de leur femmes. Alors oui, vénérés Esprits-Maîtres, oui, je l’aime bien de cette façon là.

Il y eut un murmure dans l’assistance. Puis à nouveau, le silence. J’avais froid. J’avais la gorge serrée et douloureuse. Ma voix me parvenait lointaine, caverneuse, comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre.

-Fée Morgane, comment pouvez-vous convoiter ainsi la femme de votre frère?

-Honorables Esprits, veuillez me pardonner mais c’est là où vous vous trompez sur moi. Jamais en aucun cas, je ne voudrais le moindre mal au roi. Jamais je n’ai eu envie ou fait le moindre plan dans le but d’usurper la place d’Arthur dans le cœur de Guenièvre. Bien au contraire. Mon amour pour la reine est total. Inconditionnel. Dénué de toute idée de possession. Ne voyez-vous pas? La reine mourrait de tristesse si on la devait la séparer de son roi.  Briser de quelque manière l’harmonie du Couple Royal briserait aussi son cœur. Sages Esprits Maître ne savez-vous pas? Faire quoique ce soit qui puisse rendre ma reine malheureuse, pour moi, c’est impossible, impensable. Voire contre-nature.

-Morgane, mais n’êtes-vous point jalouse de lui?

-Bien sûr, j’ai bien rêvé quelques fois d’être à sa place. Mais il la rend si heureuse que lorsqu’il est près d’elle, mon bonheur de la savoir comblée entre ses bras dépasse de loin mes propres désirs. Mon amour pour elle ne saurait être ni exclusif, ni restrictif en aucune façon, ni ne pourrait véhiculer des sentiments comme la jalousie, la trahison ou l’hérésie qui ne feraient qu’apporter le malheur sur elle.  Je n’ai toujours souhaité que son seul bonheur sans aucun désir égoïste ou mesquin. Je ne demande rien pour moi.  Qu’elle soit heureuse, c’est tout.

-Vous lui avez remis la pierre de lune, et en faisant cela, vous lui avez donné le droit de vie et de mort sur vous, quelle était votre réelle intention?

-La guérir.  La protéger des maladies et des poisons. C’était mon seul but.

-Quels sont vos sentiments vis à vis Arthur? Ne vous sentez-vous point un peu coupable d’aimer ainsi sa reine?

-Mais puisque je ne menace en aucune façon ni son couple, ni son amour, je ne vois pas pour quelle raison de devrais éprouver de la culpabilité. Je ne suis pas là pour détruire leur amour, mais pour le protéger, le favoriser, le défendre. Je n’ai aucune raison d’éprouver une quelconque gêne, honte ou quoi que ce soit de coupable face à mon frère.

Il y eu un bref conciliabule entre les membres des 7. Puis… Merlin se leva :

-Bien Morgane, pour l’instant, nous n’avons plus de questions.

Maintenant, j’attendais avec appréhension leur verdict. Allaient-ils me croire, me faire confiance ou rejeter mon plaidoyer et me condamner?  J’allais bientôt être fixée, déjà les 7 revenaient de leur délibéré et prenaient place à la tribune…

* * *

Galaad se sentait épié, surveillé. Il se mit debout, sorti son épée de son fourreau. Il entendit un bruit sourd et le coup qu’il reçut sur la tête lui fit perdre conscience.

J’ouvris les yeux…  je le vis avec son petit visage méchant qui s’apprêtait à me poignarder pendant mon sommeil.

-PETRIFICATIS ARES…!!!

Un bref éclair le paralysa sur place, l’empêchant de bouger un seul muscle. Ses comparses s’étaient enfuis. Je vis Galaad étendu sur le sol un filet de sang coulant de sa tête.  Je tournai la tête vers mon agresseur et sans plus de pitié qu’il n’en aurait eu lui-même, ignorant les supplications de ses yeux,  je lui plantai mon épée en pleine poitrine.

Je soulevai mon écuyer et vis qu’il n’était qu’assommé et que sa blessure était peu profonde.

-CURATIS AMAS!

Le sang, la bosse et jusqu’au souvenir du coup qu’il avait reçu avaient été effacés. Lorsqu’il ouvrit les yeux sur elle, il ne put se retenir et lui sauta au cou.

-Morgane, enfin vous êtes là! Pendant un moment, j’ai cru que je ne vous reverrais plus jamais!

Je regardai ses grands yeux bleus comme un ciel d’été. Je lui souris.

-Mon fidèle Galaad, à un moment tu sais, je l’ai bien cru aussi.

-Il faut vite retourner au château, j’ai entendu dire que le roi vient d’annoncer le départ pour la grande Quête.

-Tu as raison mon fidèle, allons vite nous joindre à eux.

À quelques mètres du château, je croisai Guenièvre qui passait dans la cour avec sa suite… elle ne m’adressa qu’un bref regard de peur d’alimenter les calomnies et les mensonges qui ne manquaient pas de circuler dans la foule. J’en fus soulagée, comme ça elle ne verrait rien de mon trouble et ne saurait pas ce qui venait de m’arriver. C’était mieux ainsi. Bientôt je trouverais un moyen de faire taire une fois pour toute, les mauvaises langues du royaume.  Bien que ce regard avait été très rapide, furtif, j’avais quand même cru y voir un soupçon de tendresse, mon cœur jubilait. J’étais de retour auprès d’elle et prête à partir pour la Quête ultime. J’étais heureuse. J’avais un secret.  Moi seule, savait avec certitude que ce voyage était destiné à être le dernier.  La Quête serait-elle bientôt terminée? Je l’ignorais, je ne savais ni l’endroit où on se dirigeait, ni combien de temps le voyage devrait durer. Un jour, un mois, un siècle… mais je savais que le Saint Graal nous attendait…  quelque part au bout de la route…




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